Les traditions beauceronnes

 

Dans le Loiret, à l’occasion du premier dimanche du Carême, les paysans se poursuivaient, munis de flambeaux allumés, à travers les champs ensemencés, en répétant ces vers :

Sortez, sortez d’ici, mulots !

Ou je vais vous brûler les crocs.

Quittez, quittez ces blés ;

Allez, vous trouverez

Dans la cave du curé

Plus à boire qu’à manger.

On retrouve un usage similaire en Sologne, dont les habitants avaient coutume, « le premier dimanche du Carême, de se poursuivre dans les champs ensemencés, munis de flambeaux allumés et de se réunir ensuite en un banquet pour manger de la bouillie. », explique A. de Chesnel (1). Lequel précise : « afin que ce festin porte bonheur, que le diable ne se mêle pas de la fête, il est indispensable que chaque convive y apporte un pied de nielle (2) qu’il a cueilli dans sa course. »

(1) Dictionnaire des Superstitions, Erreurs, Préjugés et Traditions Populaires…, dans Troisième et dernière Encyclopédie Théologique ou troisième et dernière dictionnaire de toutes les parties de la science religieuse…, publiée par l’Abbé Migne, tome vingtième, chez J.-P. Migne Éditeur, Le Petit-Montrouge, 1856.

(2) Agrostema githago, plante commune dans les blés.


Feux de Beauce, Brandons (3) et Mais

Ernest Menault (4)

milieu du XIXe siècle

 

« Tous les ans, pendant les dimanches de carême, on peut voir avec étonnement, dans les plaines de la Beauce, s’agiter, courir çà et là des feux qu’une âme craintive prendrait pour des tournants (feux follets) ou des fantômes. Heureusement, feux follets et fantômes ont disparu. Les feux de Beauce sont simplement des brandons, c’est-à-dire de la paille allumée autour d’un grand bâton, et que les enfants font brûler en courant à travers champs. Mais cette course de brandons a perdu aujourd’hui toute sa signification, et pour en retrouver la poésie il faut nous transporter à quelques années et assister à cette fête.

Allons, jeunes Beaucerons, préparez la gaule, la paille ; faites vos brandons. Allons, jeunes filles, dansez en rond. Que vos cœurs se réjouissent ; l’hiver n’a point éteint les feux amoureux ; pour vous les brandons vont brûler. La plaine déjà commence à reverdir, les mulots à sortir ; l’alène jalouse veut empester les blés ; courez à travers les champs, courez en liberté, chantez, chantez, behourd, behourdi ; brandons, brandons, brûlez !

Qu’elle était belle autrefois, cette nuit du premier dimanche de carême, quand tous les jeunes Beaucerons, les brandons allumés, courant dans la plaine, entraînaient à leur suite des essaims de jeunes filles, gracieux papillons voltigeant autour d’eux ! Ah ! c’est que pendant les longues veillées d’hiver plus d’une fillette de seize ans avait laissé tomber l’aiguille, brisé le fuseau en pensant à la fête des brandons. Verrai je beau brandon brûler pour moi ? Verrai je pour moi beau garçon se jeter au feu ? Telles étaient les pensées qui agitaient, distrayaient les jeunes filles. Revenants, sorciers, loups-garous, contes bleus, ne captivaient plus leur attention ; on les voyait inquiètes et pensives ; le soleil allait se coucher et la fête commencer. Déjà les brandons, témoignages d’amour, brûlent aux fenêtres des bien-aimées.

Aux portes se font des danses et des rondes ; les grand’mères s’unissent à leurs petites-filles. Le village est dans une joie rayonnante d’espérance. Mais, hélas ! quelques fenêtres ne voient pas briller la lumière : ce sont sans doute les fenêtres des malheureuses. Est-ce que la misère aurait banni l’amour ? Mais déjà la course nocturne commence ; les jeunes garçons se dispersent dans les champs, agitent leurs brandons, les frappent contre terre pour en attiser le feu, et alors tous commencent à chanter lentement :

Brandons, brandons, brûlez

Pour ces vignes, pour ces bleds

À charger le boissiau.

(3)  Il était d’usage, dans diverses régions, à l’occasion de certaines fêtes (Noël, Épiphanie, Saint-Jean, etc.), de parcourir rues ou champs avec des brandons enflammés. Cette coutume, instaurée par les premiers Chrétiens, aurait pour origine des pratiques païennes similaires : par exemple, chez les Grecs, la fête célébrée pendant neuf jours, tous les cinq ans, le 15 du mois de Broedomion (septembre, pour nous), en l’honneur de Cérès et Proserpine, et dont le cinquième jour était le « jour des flambeaux » — les participaient portaient toute la nuit des flambeaux, tandis que les initiés aux mystères de Cérès agitaient des torches autour des autels.

 

(4) Article sur la fête des Brandons et des Mais en Beauce, cité par A. de Chesnel, Dictionnaire des Superstitions, Erreurs, Préjugés et Traditions Populaires…, dans Troisième et dernière Encyclopédie Théologique ou troisième et dernière dictionnaire de toutes les parties de la science religieuse…, publiée par l’Abbé Migne, tome vingtième, chez J.-P. Migne Éditeur, Le Petit-Montrouge, 1856.

Coll. A. P.-R.

Au mot boissiau, tous les brandons tombent à terre. Puis tous se mettent à courir en criant :

Criez, sortez d’ici, mulots, etc.

Le couplet fini, tous les jeunes gens, éclairés par les branches, suivis par les jeunes filles, vont à la recherche de l’alène, chacun devant, au retour de la soirée, présenter un pied de l’herbe nuisible.

Après cette longue course, quand tous les feux vont pour s’éteindre, les garçons et les jeunes filles se réunissent, font un dernier feu avec les débris des brandons, puis dansent autour en répétant ce gai refrain :

Chantons, dansons tant que j’pourrons ;

Vivent l’amour, les blés ! vivent les brandons !

Au mois de mai je fleurirons ;

Avec l’amour, les fleurs je cueillerons.

C’t’année sur le fumier

Point de brandons seront jetés.

Ben des mariages se feront,

Ben des enfants j’aurons ;

Ben du pain, ben du fromage

Sur la planche ne manqueront.

Chantons, dansons tant que j’pourrons.

Le chœur fini, tout jeune garçon à marier est obligé de traverser les flammes pour témoigner à sa fiancée que pour elle il ose tout braver ; et, quels que soient le dévouement, la bravoure, on hésite toujours pour passer le premier.

Souvent, c’était le plus jeune qui se lançait tout d’abord dans les flammes, d’où il revenait aux applaudissements des jeunes filles, qui répétaient :

Chantons, dansons tant que j’pourrons ;

Vivent l’amour, les blés ! vivent les brandons !

Puis c’était au tour d’un autre ; et pour l’engager, on chantait :

Le plus jeune a ben passé ;

À un autre à recommencer.

Et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les jeunes gens eussent traversé les flammes. Le violon marchant toujours, on revenait au village en chantant :

Ben des mariages se feront,

Ben des enfants j’aurons ;

Ben du pain, ben du fromage

Sur la planche ne manqueront.

À l’arrivée, voici comment les choses se passaient : les jeunes gens se rangeaient d’un côté, les jeunes filles d’un autre, et le violoneux, monté sur un tabouret, criait à haute voix :

— Je donne la fille de Simon au garçon d’Antoine !

Et tous d’applaudir, et le garçon d’Antoine d’aller chercher la fille à Simon. On faisait une ronde autour d’eux en chantant :

La fille à Simon est bien mariée

À un autre à recommencer.

Et l’on redansait, sautait, criait, frappait des pieds, des mains ; c’était un entrain, une gaîté qu’on trouve seulement au village.

Tous les mariages terminés, on allait chez le plus riche fermier du pays manger la bouillie. Là, nouvelle scène, nouveaux rires ; tous les garçons devaient présenter leur pied d’alène ; ceux qui en manquaient étaient masqués de bouillie, obligés de servir les autres ; puis chacun racontait ses aventures. Après bien des histoires, après avoir bien mangé la bouillie, les Beauceronnes, pour terminer la soirée, entonnaient les noëls, et entre autres celui-ci :

Boutons nout’habit le plus biau

Que j’ens quand il est fête,

Pour adorer l’enfant nouviau

ça serait malhonnête

Si j’allions en saligots

Visiter nout’malte.

J’ai des biaux souliers tout fin noirs

Que m’a laissés mon père ;

Tu le créras si tu veux,

Je les tiens de ma mère

Si je ne fais de mon mieux,

Je ne saurais mieux faire.

Le noël chanté, chaque garçon conduisait sous le toit paternel la jeune fille que lui avait donnée le joueur de violon. Tous n’étaient pas également contents de son choix, mais le temps n’était pas venu de donner ou non son approbation ; pour cela il fallait attendre au mois de mai. Enfin, après bien des inquiétudes, des agitations, arrivait l’époque où, selon Béranger,

La nature a repris, au mois de ses amours,

Sa robe nuptiale et ses plus beaux atours.

le temps où, selon l’expression des poètes anciens, les noces du soleil commencent avec la terre. Alors, tous les jeunes gens s’en vont dans les jardins cueillir aux arbres les branches les plus belles, les mieux fleuries, et, avant que le soleil ait annoncé le premier jour de mai, ils plantent ces blancs rameaux, emblèmes d’amour pur, aux fenêtres de leur bien-aimée. Pour eux, c’est dire qu’ils acceptent la jeune fille désignée par le violoneux ; c’est dire que leur amour, né pendant l’hiver, fleurit maintenant ; que bientôt ils espèrent en cueillir les fruits.

Quelquefois, d’autres brûlaient un mai réprobateur, ou bien ils plantaient une branche de bouleau, ornée d’un ruban noir, à la porte de leur fiancée, qui, répudiée, versait souvent des pleurs en perdant l’espérance de se marier pendant l’année. Ainsi, détruire l’alène, les mulots, êtres nuisibles aux grains ; ouvrir son cœur au mois des amours, tel était le but de la fête des brandons et des mais, dont l’origine remonte aux temps les plus reculés. On en trouve dans la langue romane des traces sous le nom de jour du behour. »


La bûche de Noël

Monseigneur Chabot (5)

La nuit de Noël dans tous les pays, 1912

« “ Dans quelques vieilles maisons de notre Berry, je cherchais à m'expliquer pourquoi l'un des deux grands chenets en fer forgé était d'une seule pièce, tandis que l'autre se démontait en deux pièces par le simple emboîtement de la branche verticale sur la branche horizontale et formait, de cette manière, un simple tréteau : une octogénaire m'en adonné l'explication suivante : Dans mon jeune temps, la veille de Noël, on choisissait pour le truffiau (tréfeu) le tronc d'un arbre assez gros pour qu'on fût obligé de le faire traîner par un cheval, et les chenets étaient ainsi faits pour pouvoir le hisser plus facilement. On posait l'une des extrémités sur le grand chenet et l'on faisait glisser latéralement l'autre extrémité sur le chenet démonté, à l'aide de leviers, car cette bûche atteignait très souvent deux ou trois mètres de long sur un mètre de circonférence. On se servait le plus souvent de trognards_ que l'on rencontre encore beaucoup dans nos haies : le bois fendu était rigoureusement exclu. La longueur de ces bûches explique la forme de ces cheminées géantes d'autrefois. ” (6).

Dans l'Orléanais, province voisine du Bercy, existaient à peu près les mêmes usages.

(5) Prélat de sa Sainteté, curé de Pithiviers, Loiret.

(6) H.-G., d'Henrichemont (Cher).

La ménagère plaçait dans le foyer, au milieu d'un épais lit de cendres, et enguirlandée de branches de bruyère ou de genièvre, la plus forte souche du bûcher. C'était ordinairement une énorme culée de chêne.

Dans la Beauce et le val Orléanais (rive gauche de la Loire), cette bûche se nomme, selon les localités, tréfoy, trifoué ou  trifouyau.

Le moment de déposer, dans l'âtre nettoyé avec soin, la bûche traditionnelle variait selon les pays. Ici on la plaçait aux premiers coups de la cloche annonçant l'office de la nuit, là on attendait l'instant où la cloche sonnait la voix Dieu, c'est-à-dire l'élévation de la messe de minuit. C'était le grand-père, quelquefois le plus jeune enfant qui, après l'avoir aspergé d'eau bénite, y mettait le feu en se signant et en prononçant à haute voix : In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen !

Le tréfoué devait brûler, sans flamme, l'espace de trois jours, afin d'entretenir une constante et douce chaleur dans la chambre où se réunissaient, avant et après les offices, mais principalement avant et après la messe de minuit, tous les membres de la famille. Cependant la bûche de Noël se consumait lentement. Les fêtes terminées, on recueillait les restes du tréfoué et on les conservait d'une année à l'autre. »


Les costumes

 

Chez Garnier-Allabre, Chartres, 1817-1823

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