Le cotignac d'Orléans
Une « confiture » bienfaisante
« Quand le premier Mai la pluie oint,
il n'y aura pas le moindre coing. »
Voici ce que je dis,
dans mon Dictionnaire de la Gourmandise
(coll. Bouquins, Robert Laffont, 2012),
de cette friandise faite d’une gelée de coings prise,
présentée dans une petite boîte ronde
en bois d’épicéa, spécialité d’Orléans (Loiret).
Francisco de Zurbarán,
Naturaleza muerta con plato de membrillos,
entre 1633 et 1664, Museu Nacional d'Art de Catalunya, Barcelone.
« L’origine du cotignac est ancienne. Sans peut-être remonter jusqu’à cette préparation de coings confits avec du miel employée par les nymphes pour apaiser les cris de Zeus enfant, on peut affirmer avec certitude que le Moyen-Âge en fit grande consommation. Le cotignac était alors confectionné avec du miel, car le sucre, découvert à la faveur des Croisades, n’était pas encore entré dans les mœurs alimentaires, pas même à la table des riches. Le Ménagier de Paris (1) livre la recette de condoignac suivante : « prenez des coings et les pelez, puis fendez par quartiers, et ostez l’ueil et les pépins, puis les cuisiez au bon vin rouge et puis soient coulés parmi une étamine : puis prenez du miel et le faites longuement boulir et escumer, et après mettez vos coings dedans et remuez très bien, et le faites tant boulir que le miel se reviengne à moins la moitié ; puis gettez dedans pouldre d’hypocras, et remuez tant qu’il soit tout froit, puis taillez par morceaulx et les gardez. » Le recours au vin rouge de Bourgogne (ou au vin blanc, dans d’autres recettes) peut surprendre nos habitudes gourmandes ; or il n’avait pour raison d’être que la coloration que l’on entendait donner à la « pâte ». Au milieu du XVIe siècle, Michel de Nostre-Dame, alias Nostradamus, considère le cotignac comme « une substance grande et de saveur bonne, et plus profitable que nulle des autres », tout en émettant une restriction qui ne retire, d’ailleurs, rien à ses vertus : « Vrai est qu’il n’est pas si délectable, mais aux effets et opérations il est meilleur » (2). Sa recette est plus proche de celle que nous connaissons.
Le cotignac figurait donc régulièrement dans les menus médiévaux, sans doute plus pour les propriétés médicinales de longue date attribuées au coing que parce qu’il suscitait la gourmandise. En réalité, dès le XIIe siècle, à l’instar des « épices de chambre » et des « lectuaires », les «condoygnacs » (ou « cotignacs ») étaient consommés en fin de repas, lors du boutehors. Comme d’autres grandes friandises, le cotignac allait conserver tout au long de la Renaissance ce double rôle thérapeutique et gourmand. Tous les hôtes de marque de passage dans une ville productrice de confitures sèches ou de fruits confits s’en voyaient offrir par les notables — outre leur goût exquis, ces douceurs étaient très faciles à transporter et, de par cet avantage, constituaient un cadeau idéal. Rien d’étonnant donc à ce que, à Orléans, il fut de règle d’offrir du cotignac aux personnalités de passage. Des archives de la ville témoignent de la fabrication de cotignac pour la visite de la reine de Navarre en 1546. De même, en 1576, la cité en offrit trente-huit douzaines au roi et à la reine, ainsi qu’à des grands de la Cour. Car il est indéniable que le cotignac fit les délices des rois et des princes. François ier en était très friand. Son médecin, Jean Bruyérin-Champier (3), qui étudia, adolescent, dans une école de grammaire, rue de la Favrerie, à Orléans, indique bien que le coing, qui se consomme cuit, occupe une place de choix parmi les desserts de l’hiver, que « les délicats le saupoudrent de sucre », qu’on en fait « diverses conserves à la cannelle ou aux clous de girofle », qu’il se prête à la confection de médicaments « très répandus chez les grands personnages » et que, sous le nom de « cotignac » (cotoneatum), il fait « spécialement partie des dîners nocturnes ». Il arrive qu’on parfume le cotignac avec de la cannelle ou du musc pour en rehausser le goût. Cette aromatisation est confirmée par ce témoignage concernant un repas de cour sous le règne de Henri iii : « Après le dessert, les uns prenaient un peu d’anis confit, les autres du cotegnac, mais il fallait qu’il fut musqué, autrement il n’eut point d’effet en leur estomac qui n’avait point de chaleur s’il n’était parfumé. » (4) Est-ce ainsi du cotignac qui figure sur certaines natures mortes de desserts datant de la fin du XVIe et du XVIIe siècles, présentant des tables luxueuses où se côtoient fruits, biscuits, pâtisseries et douceurs diverses ? Les boîtes (5) sont rondes, faites de lamelles de bois et, lorsqu’elles sont ouvertes, montrent une sorte de gelée rubis, qui n’est pas sans évoquer la confiture si appréciée en France. Si tel est le cas, cela signifierait que le cotignac, ou du moins la gelée de coings moulée, était aussi connu en Flandre, en Allemagne, en Italie, voire en Espagne, dans les pastelerias madrilènes pour clients fortunés. Les tableaux de Georg Flegel (6), de Juan van der Hamen y Leon (7) ou de Paolo Antonio Barbieri (8) le donnent à penser. Que le mystère finisse par être élucidé ou persiste encore longtemps, un fait est certain : de la santé à la gourmandise, le pas fut bientôt franchi… L’atteste une anecdote relatée par Tallemant des Réaux (9) : en allant chez Mme d’Étampes, « le roi sçeut que Brissac, depuis maréchal de France, s’estoit caché sous le lict pour n’avoir pas eu le temps de se sauver. Il demanda des confitures et en mangeant du cotignac qu’il trouvoit admirable, il en jeta une boiste sous le lict, disant : Tiens, Brissac, il faut que tout le monde vive ! ». Mais où est la vérité ? La même aventure est attribuée à Henri IV, surprenant le duc de Bellegarde chez Gabrielle d’Estrées (10)…
Au tournant du XVIIe siècle, Olivier de Serres (11) n’omet pas de mentionner le cotignac parmi ces friandises qu’il nomme joliment « gentillesses » : « Le coin est couché en reng avec les fruicts de marque, pour ses bonnes qualités : se ployant à estre confit en diverses sortes et à plusieurs appareils de gelées, cotignac, et semblables gentillesses : comme aussi en cuisine est utilement employé parmi beaucoup de viandes. » Il décrit même deux recettes pour obtenir de « bons cotignacs » (12). Il remarque que le cotignac le plus recherché est celui d’Orléans et enseigne même à en faire à la manière des Orléanais. De fait, si à partir du XVIIie siècle, la faveur alla aux coings du Portugal, de fort belle qualité, les fruits de Lyon, Nevers et Orléans restèrent néanmoins renommés. Le cotignac d’Orléans comptait parmi les « confitures » à la mode, et cette faveur allait perdurer. En 1680, le dictionnaire de Richelet confirme : « le meilleur cotignac est celui d’Orléans ». Quelques années plus tard, le Dictionnaire de l’Académie Française (13), qui se contente d’indiquer qu’il s’agit de « Confitures faites de jus de coins », mentionne le cotignac d’Orléans et le cotignac d’Alençon. Sans doute le second disparut-il par la suite, car, un siècle plus tard (14), ce même dictionnaire ne citera plus que le premier, tout en précisant qu’on ne prononce pas le C final du mot. Nicolas Audiger (15), dont l’avis éclairé fait autorité en l’art de diriger une maison noble à la fin du XVIIe siècle, classe le cotignac parmi les « compotes », indique comment confectionner la gelée de coings (16) et précise que, pour obtenir du cotignac, il faut mettre « plus de coings & de sucre à proportion ». Quant à la conduite de la recette, « de même que les coings vous les menerez doucement, & lorsque vous verrez qu’il sera en gelée, vous le verserez dans vos boëtes ou bien dans vos pots, & ne les couvrirez point que le lendemain».
Au siècle des Lumières, cette faveur du cotignac se maintint… Le coing cuit et mêlé à du sucre était encore paré de bien des vertus, bien qu’il eût pour effet incontesté de « resserrer ». C’est, d’ailleurs, sous le terme pharmaceutique de mira, nous dit l’Encyclopédie, que « la gelée de coing est principalement connue […] dans les boutiques », et d’ajouter : « on se sert quelquefois de ce mot même en françois, comme d’un synonyme à gelée de fruits ». Cette association du coing et du sucre prenait encore diverses formes. « On confit les Coins avec le sucre, & de cette maniere ils sont plus salutaires. On fait encore avec les Coins plusieurs compositions stomachiques, comme le Cotignac, le sirop de Coins, & quantité d’autres dont on se sert aussi-bien en santé qu’en maladie. », explique Louis Lemery (17). Ainsi les apothicaires confectionnaient-ils le diacydonium, « suc de coing épaissi ou cuit en consistance d’extrait ». « On y ajoûte ordinairement du sucre, & on en fait ce qu’on appelle communément une gelée. », précisent les Encyclopédistes, qui livrent la recette d’un diacydonium laxativum, répandu dans les pharmacopées allemandes et dont le conditionnement rappelle curieusement celui du cotignac d’Orléans (18). Néanmoins, de toutes ces préparations, le cotignac est encore, sans conteste, la plus recherchée. « Souverain pour le cours du ventre », le cotignac d’Orléans se présente comme « une espèce de gelée un peu plus forte & plus cuite que les autres, faite avec le sucre royal, & dans laquelle il entre un peu de vin blanc. Cette sorte de confiture, qui est ordinairement de la couleur des plus beaux rubis, est envoyée en petites boîtes de sapin, rondes & plates, de diverses grandeurs, dont les plus petites s’appellent des friponnes. » (19) C’est, en revanche, une formule sans vin blanc que livre le traité sur l’École parfaite des officiers de bouche (20) pour le cotignac à la façon d’Orléans : « Vous prendrez des Coins, vous les couperez par morceaux, que vous pelerez et nettoyerez de leurs pepins ; sur six livres de fruit vous aurez deux livres de sucre cuit à cassé, vous y mettrez vos Coins, & laisserez cuire le tout ensemble jusqu’à ce qu’il soit reduit en marmelade, vous passez le tout au tamis, & ce qui en sortira servira pour le Cotignac. Cela fait, faites encore cuire quatre livres de sucre à perlé, mettez-y ce que vous aurez exprimé, & lors qu’après l’avoir fait un peu boüillir le syrop est revenu à la même cuisson, vous descendrez vôtre Cotignac de dessus le feu, vous l’écumerez & le dresserez tout chaud ou dans des boëtes, ou dans des petits pots ; pour donner une belle couleur à ce Cotignac, vous y mettez de la Cochenille preparée. »
Quoi qu’il en fût, avec ou sans vin blanc, le cotignac faisait partie des friandises recherchées des gourmands. En 1709, la marquise de Maintenon écrivait au duc de Noailles, qui lui avait envoyé du cotignac : « vos boëtes auroient admirablement figuré aux noces de Mlle de Normanville, si je n’avois le bon-sens de jetter le festin sur M. de Chamillard. » Et que n’auraient fait certains pour se procurer une telle douceur ? Dans une lettre à Horace Walpole (21), madame Du Deffand rapporte une anecdote que vient de lui conter monsieur de Choiseul. Lequel fut chargé, un soir, après souper, de transmettre une lettre du Roi, écrite après souper pour répondre à une exigence de Mme Victoire, à l’évêque d’Orléans, en toute urgence. Réveillé par le duc à deux heures du matin, l’évêque s’inquiéta dans un premier temps. Puis la lecture de la missive le stupéfia : « Monsieur l’évêque d’Orléans, mes filles ont envie d’avoir du cotignac ; elles veulent de très-petites boîtes : envoyez-en. Si vous n’en avez pas, je vous prie […] d’envoyer sur-le-champ dans votre ville épiscopale en chercher, et que ce soit de très-petites boîtes ; sur ce, monsieur l’Évêque d’Orléans, Dieu vous ait en sa sainte garde. » On fit partir sur-le-champ un courrier pour Orléans. « Le cotignac, dit Mme Du Deffand, arriva le lendemain ; on ne s’en soucioit plus. » (22) Cette renommée du cotignac d’Orléans, objet de tous les caprices, ne doit, toutefois, pas faire oublier qu’au XVIIIe siècle, on estimait également beaucoup le cotignac de Mâcon. « Le seul agrément de cette ville est qu’on y boit de très-bon vin. Moi, je me retranchai à manger du cotignac. J’avois vu sur les tablettes des Allemands voyageurs, de ma connoissance, entre autres annotations : étant à Mâcon manger du cotignac. Ainsi je profitai de l’avis, & j’en mangeai tout mon saoul. », avoue M. du Noyer dans ses Lettres (23). D’ailleurs, au début du XIXe, Cambacérès, célèbre gourmet, qui considérait le cotignac comme la plus fine des douceurs, s’en faisait expédier notamment du Mâconnais.
L’intérêt des confiseurs de l’Orléanais pour le cotignac tenait, d’évidence, au fait que le cognassier se plaisait particulièrement dans la région. « L’abondance des coignassiers des environs d’Orléans, est aussi cause de la quantité de coins confits, & de cotignac, que font les confiseurs de cette ville. », lit-on dans le Dictionnaire portatif de commerce (1770). Il n’est donc pas surprenant que la ville d’Orléans se fut imposée comme la capitale du cotignac. Le premier numéro du Gazetin du Comestible (24), daté de janvier 1767, mentionne, parmi les spécialités de nos régions, l’« eau de coings » de Dijon et la « gelée de coings » de Mâcon, en précisant : « il y en a en quartiers et en marmelade ; elle est très-estimée ». à l’instar des noix confites, Bugue a fait de la pâte de coings sa spécialité. C’est, toutefois, dans le Supplément à ce premier numéro que figure le cotignac d’Orléans. « Cette confiture, qui est excellente, est renfermée dans des boëtes de sapin de sept pouces sur quatorze pouces : il y a d’autres boëtes, qui ont cinq pouces sur quatre, qui ne coûtent que neuf sols. » Et le prix de cette confiture est de « 1 liv. sur le lieu ». Grimod de La Reynière l’inscrit parmi les grandes spécialités françaises (25), au même titre que le pain d’épices et les nonnettes de Reims, les mirabelles de Metz, les groseilles de Bar ou l’épine-vinette de Dijon, mais en recommande une consommation modérée « vu ses qualités astringentes » (26). Alexandre Dumas (27) ne reconnaît que le cotignac d’Orléans, qu’il définit comme une « conserve de coings » et dont il fournit la recette, reprenant celle de Grimod de La Reynière, qui, lui-même, la tenait du confiseur de son oncle, M. de Jarente, évêque d’Orléans. Il est à noter que le vin blanc n’entre plus alors dans la confection de la friandise, laquelle occupait une place à part dans le monde des « sucreries ». Le gastronome Charles Monselet, lui-même, ne sait la situer : « Ce n’est ni de la pâte, ni de la gelée de coings ; c’est une préparation à côté dont la ville d’Orléans a le monopole. » Et d’ajouter : « Un gourmand ne peut se dispenser d’en faire venir et d’en ranger quelques boîtes sur les plus hauts rayons de sa bibliothèque, — c’est-à-dire de son buffet. » (28)
En cette seconde moitié du XIXe siècle, où le coing du Portugal avait désormais la faveur des fabricants, le cotignac était aussi moulé en pains décorés de divers motifs, ce qui rendait sa présentation d’autant plus attrayante. Pour preuve, Louis-Eustache Audot (29) livre la recette d’un célèbre confiseur orléanais de son temps, du nom d’Auvray (30) : « […] à Orléans, on verse la gelée sur des moules en bois gravés en creux sur toutes sortes de figures, ce qui produit des pains de cotignac susceptibles d’être renfermés dans les boîtes plates comme celles des dragées de baptême ; on en fait depuis le prix de 10 centimes jusqu’à celle qui est assez grande pour former une belle assiette de dessert, on fait tremper ces moules dans l’eau pendant 12 heures à l’avance, la gelée versée chaude dessus y est prise au bout d’une demi-heure. »
À noter qu’à la fin du XIXe siècle, ce cotignac d’Orléans inspira au Bibliophile Jacob (31) l’un de ses contes pour enfants. L’époque : le Grand Siècle. Le cadre : le Pont-Neuf, à Paris, sur lequel officiait un marchand ambulant « de confitures et de sucreries », « glapissant cette annonce de son commerce : “ Co, co, cot, cot, coti, coti, cotignac, cotignac d’Orléans ! ”». Le héros : un enfant affamé et gourmand, Charles d’Assoucy. Qui aurait pu résister à l’appel insistant du marchand : « Mon cher enfant, c’est du véritable cotignac de la bonne ville d’Orléans, du cotignac royal au sucre et au vin blanc : ce soir, ma boutique sera toute épuisée, sans que les rats s’y mettent. En voulez-vous pas goûter? » ? L’enfant prit avidement trois boîtes de « ces pâtes transparentes à la couleur de carmin », de ce cotignac « divin », « digne d’orner les buffets du Louvre », et… décampa aussitôt. Il semble, au regard de la suite de l’histoire, que le coquin n’en était pas à son premier méfait de ce type.
Au long du XXe siècle, la formule du cotignac n’a certes pas changé. Sa préparation reste une gelée, sucrée à 75 % de son jus, cuite à la nappe et coulée chaude dans de petites boîtes rondes en épicéa. Selon les puristes, il est indispensable de mélanger plusieurs variétés de coings, de gros jaunes, qui apportent leur parfum, et des plus petits, riches en pectine. Mais, hélas, en ce début du XXIe siècle, il ne reste plus qu’un fabricant de cette friandise orléanaise… »
(1) Fin du XIVe siècle.
(2) Excellent et Moult Utile Opuscule à touts nécessaire, 1555.
[3] L’Alimentation de tous les peuples et de tous les temps jusqu’au xvie siècle, Chez Sébastien Honoré, Paris, 1560.
(4) Cité par : Union des Patrons Pâtissiers de Belgique, Mémorial, 1887-1928, Bruxelles, 1928.
(5)] Certains ont vu là des boîtes à fromage, et d’autres des bonbonnières — ce qui est plus vraisemblable.
(6) (1566-1638). Par exemple : Grand Repas-Spectacle, huile sur toile, Alte Pinakothek, Munich.
(7) Nature morte avec boîtes de lamelles de bois, huile sur toile, Kunstmuseum im Ehrenhof, Düsseldorf.
(8) Nature morte avec pâtisserie, pommes et un verre de biscuits, huile sur toile, coll. Silvano Lodi, Campione (Suisse).
(9) Historiettes, ccclv, « contes, naïvetés, bons mots, etc. ». l’anecdote figure aussi dans l’historiette lxxviii, « le maréchal de la meilleraye ».
(10) Sur le point d’être surpris par le roi, Bellegarde se précipita dans un cabinet dont la clef fut retirée ; le roi demanda des confitures qui se trouvaient dans le cabinet et s’apprêtait à en foncer la porte lorsque le duc s’échppa en sautant par la fenêtre.
Antonio de Pereda (1611–1678), Still-Life with an Ebony Chest, 1652, Hermitage Museum.
(11) Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, 1600.
(12) Huictiesme Lieu, « De l’usage des alimens ».
(13) Première édition, 1694.
(14) Cinquième édition, 1798.
(15) La Maison réglée et l’art de diriger la maison d’un grand seigneur et autres, tant à la ville qu’à la campagne… avec la véritable méthode de faire toutes sortes d’essences d’eaux et de liqueurs, fortes et rafraîchissantes à la mode d’Italie, Paris, 1692.
(16) « […] si vos coings sont fort gros il n’en faut que cinq ou six, & s’ils sont petits, il en faut huit ou dix, puis après vous y mettrez deux livrez ou deux livres & demie de sucre […]. »
Georg Flegel, Nature Morte au Perroquet et aux Desserts,
huile sur cuivre, 1630-1638, Alte Pinakothek, Munich.
(17) Traité des Aliments, deuxième édition, Chez Pierre Witte, Paris, 1705.
(18) « Diacydonium laxativum pellucidum. Résine de jalap, quatre onces : faites-la dissoudre dans une suffisante quantité d’esprit-de-vin rectifié : après quoi ayez trois livres & demie de gelée de coing bien faite, bien transparente, & d’une bonne consistance : faites-la chauffer sur un petit feu pour la ramollir ; & tandis qu’elle est chaude, versez y la dissolution de résine de jalap, & agitez bien pour faire un mêlange exact : la chaleur fera dissiper l’esprit-de-vin, & la résine se trouvera divisée dans la gelée de coing autant qu’elle le peut être ; on la verse tandis qu’elle est encore liquide, dans des petites boîtes de sapin, comme on fait le cotignac à Orléans.
Au lieu de résine de jalap, d’autres demandent de la résine de scammonée : on y ajoute quelquefois des extraits de sené, de rhubarbe, &c.
Cette façon de masquer les résines de jalap ou de scammonée est très-bonne ; non-seulement on en sauve le dégoût, mais encore on les donne divisées au point, qu’on ne doit pas appréhender leur mauvais effet.
On s’en sert en Allemagne pour purger les enfans & les personnes qui ont de la répugnance à prendre les médicamens ordinaires. » (Encyclopédie.)
(19) Dictionnaire portatif de commerce, à Bouillon, Chez C. Plomteux, Liège, 1770.
(20) Neuvième édition, chez Pierre Ribou, Paris, 1713.
(21) Lettre XXXV, Paris, 27 octobre 1767.
(22) Louis de Loménie, Beaumarchais et son temps - Études sur la société en France au xviiie siècle…, 1858.
(23) Rapporté par Le Grand d’Aussy, Histoire de la vie privée des François, 1782.
(24) Duré, directeur, Paris (rue du Mail), 1767.
(25) Avantages de la bonne chère sur les femmes.
(26) Almanach des Gourmands, 1805. « La gelée de coings, qu’on prépare aussi dans quelques endroits en boîtes, sous le nom de cotignac, offre une Confiture assez agréable, mais dont il faut user sobrement, vu ses qualités astringentes. »
(27) Le grand dictionnaire de cuisine, 1873. Dans son roman Le Capitaine Pamphile, Alexandre Dumas fait allusion aux « confitures d’Orléans, et sans doute entend-il par là le cotignac : « Le capitaine répondit qu’il était généralement reconnu que l’Académie était un corps très friand, et qu’en preuve de ce qu’il avançait, il voulait bien lui avouer que cette honorable assemblée, qui se rassemblait tous les jeudis sous le prétexte ostensible de discuter des questions de science ou de littérature n’avait d’autre but dans ces réunions à huis clos que de s’assurer, en mangeant de la conserve de rose et en buvant du sirop de groseille, des progrès que faisait l’art des Millelot et des Tanrade, que, depuis quelque temps, au reste, elle s’était aperçue de l’abus de la centralisation, sous le rapport de la confiserie, et que les pâtes d’Auvergne et le nougat de Marseille avaient été reconnus dignes des encouragements académiques ; quant à lui, il était heureux d’avoir appris par expérience que les confitures d’Orléans, dont il n’avait jamais entendu parler jusqu’à ce jour, ne le cédaient en rien à celles de Bar et de Châlons : c’était une découverte dont il ne manquerait pas de faire part à l’Académie dans une de ses plus prochaines séances. » (Chapitre XVI.)
(28) La Mi-carême, in « La Cuisinière Poétique », 1859.
(29) La Cuisinière de la Campagne et de la Ville, 1901.
(30) Il tenait boutique au 7 de la rue Bannier.
(31) Voir le tete, plus bas.
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Le cotignac selon Nostradamus
Excellent et Moult Utile Opuscule à touts nécessaire, 1555
« Prenez douze coings qui soient bien mûrs et jaunes et faites-les cuire au four dans une bassine de cuivre large et basse. Quand ils seront bien rôtis, bien cuits, vous les ôterez du four, les pèlerez délicatement puis les ferez passer dans une toile neuve étroite, bien serrée, qu’il en passe la plus grande partie.
Quand vous verrez que la chair sera bien passée, vous la pèserez ; s’il y en a quatre livres, vous prendrez trois livres de sucre en poudre et le mettrez avec la chair.Vous ferez cuire le tout dans un poêlon sur le feu.
Pendant qu’il cuira, vous le remuerez incessamment avec un bâton rond pour qu’il ne brûle pas. Pour voir s’il est cuit, vous en mettrez avec le bâton sur un plat et regarderez si la chair est ferme : si elle s’ôte promptement sans adhérer au plat, alors il sera cuit. Puis vous le mettrez tout chaud dans des boîtes de bois ou de verre, ainsi qu’il vous plaira. »
Le cotignac selon Olivier de Serres
Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs, 1600
« Par deux moyens, l’on faict des bons cotignacs. Des coins bien choisis seront cuits au four, entiers, sans peller, mis dans vaze de cuivre, bas, à large ouverture, demeurans au four autant qu’une fournée de pain. Ainsi, bien rostis, l’on les pellera, pestrira, et passera à travers d’un tamis, ou d’une toile neufve bien nette : puis l’on les achevera de préparer dans le succre. La quantité de succre requise en cet endroit, est la moitié du poids des coins. Telle l’y ad-joindrés, non en syrop, ains en poudre, meslant l’un avec l’autre. Après, la composition mise dans la bassine ou casse poinctue, sur petit feu de charbon, y sera achevée de préparer, la remuant tous-jours avec la spatule de bois, de peur de la bruslure. Le cotignac sera cuit en perfection, quand il ne tiendra plus, ni à la casse ni à la spatule, sur laquelle addresse vous arrestant, aussi tost que vous vous appercevrés de tel despouillement, le sortirés du feu ; et de la casse, le logerés dans des vazes de verre ou de terre, ou dans des boistes de bois, pour la estre prins selon l’usage. Et à ce qu’aucune restante humidité naturelle du fruict (comme il peut arriver) n‘amoindrisse et ne ravale beaucoup la bonté ou la beauté du cotignac, les vazes et boistes en seront exposées à l’aer, pour trois ou quatre jours (non toutes-fois au soleil ni à la rozée), où se desséchant, demeurera le cotignac ferme et solide, tel qu’on le désire. Aucuns ne passent les coins par le tamis, ains les employent sortans directement du four, après leur avoir osté la pellure et les grains. Mais non tant délicat s’en faict le cotignac ainsi, qu’estant tamisé, dont, deschargé de tout le grossier, reste du tout bon et beau. L’autre moyen est de peller les coins, et tous entiers, sans les ouvrir, les mettre bouillir dans l’eau claire, jusques à ce qu’ils crèvent, d’eux-mesmes se réduisans en paste : ensuite, les passer par le tamis bien net : finalement, les achever de cuire dans la casse avec le succre, en pareille proportion que dessus, et semblable ordre. Sur la fin de la cuitte des cotignacs, y jetterés dedans quelque once de canelle pulvérisée, pour leur augmenter le goust : et si les voulés perfumer, un peu de musc meslé avec la canelle vous satisfera, dont les cotignacs s’en rendront très-agréables. »
La conserve de coings selon Alexandre Dumas
Le grand dictionnaire de cuisine
« Prenez les plus beaux coings et ôtez-en les pépins en y laissant toute la peau des fruits, car c'est dans la peau des coings que se trouve la plus grande partie de leur parfum et de leur saveur particulière ; enlevez les pépins et la partie fibreuse, vous les mettez avec de l'eau dans une bassine, les retournant de temps en temps avec une spatule jusqu'à ce qu'ils soient bien tendres, alors vous les retirez et les jetez dans un tamis sur une terrine ; quand ils sont refroidis, vous les écrasez et les réduisez en pulpe que vous faites réduire à moitié sur le feu, vous la retirez et la versez de la bassine dans un vase de terre vernissée ou dans une terrine, précaution sur laquelle on ne peut trop insister.
Vous clarifiez même quantité de sucre que de marmelade, et vous le faites cuire au petit cassé ; vous y versez la marmelade en remuant bien avec une spatule ; quand le mélange est bien fait vous remettez la bassine sur un petit feu, en remuant toujours jusqu'à ce que vous découvriez facilement le fond de la bassine, alors vous la retirez de dessus le feu. Vous posez sur une plaque de fer-blanc ou sur des ardoises des moules de différentes figures, soit en rond, soit en carré, soit en forme de cœur, vous les emplissez de votre pâte ou marmelade, ayant soin d'en bien unir la surface avec un couteau ; lorsque tous les moules sont remplis, vous saupoudrez avec du sucre et les mettez à l'étuve avec un bon feu. Le surlendemain vous les retirez des moules, vous les posez sur des tamis en les retournant et les saupoudrez aussi de sucre de ce côté ; vous les laissez en cet état un jour à l'étuve et les conservez dans des boîtes bien bouchées, en les disposant par lits et mettant entre chacun une feuille de papier blanc. »
Cotignac « maison »
Recettes et paysages, Paris, Île-de-France, Val de Loire, 1951
P. E. Lamaison et Publications Françaises, Paris.
« On coupe en tranches des coings assez mûrs, après les avoir épluchés et épépinés. Les mettre dans un chaudron en cuivre avec assez d’eau pour qu’ils puissent baigner. Après 30 minutes d’ébullition, égoutter les coings et récupérer le jus en le passant au travers d’une mousseline. Mettre à cuire dans ce jus, et dans le chaudron, des coings, pour trois-quarts de la quantité précédente, en complétant le dernier quart avec des oranges épluchées dont on aura enlevé les pépins. Après une heure de cuisson, égoutter les fruits. Le jus obtenu sera pesé et l’on y ajoutera un poids égal de sucre. Remettre à cuire dans le chaudron en remuant avec une cuiller en bois. Lorsque le jus colle à la cuiller, il est cuit. Le couler alors dans un moule en fer mouillé et le laisser refroidir. »
Un royal caprice…
Lettre de la Marquise Du Deffand à Horace Walpole,
extraite des Lettres…, 1766-1780,
publiées d'après les originaux, 1812.
Une nuit de 1767, l'évêque d'Orléans, Mgr Jarente de la Bruyère, reçut un ordre du roi…
« Voici l'histoire ; elle est d'environ huit jours. Le roi, après-souper, va chez madame Victoire ; il appelle un garçon de la chambre, lui donne une lettre, en lui disant : Jacques, portez cette lettre au duc de Choiseul, et qu'il la remette tout à l'heure à l'évêque d'Orléans ; Jacques va chez M. de Choiseul, on lui dit qu'il est chez M. de Penthièvre, il y va ; M. de Choiseul est averti, reçoit la lettre, trouve sous sa main Cadet, premier laquais de madame de Choiseul, il lui ordonne d'aller chercher partout l'évêque, de lui venir promptement dire où il est ; Cadet, au bout d'une heure et demie, revient, dit qu'il a d'abord été chez monseigneur, qu'il a frappé de toutes ses forces à la porte, que personne n'a répondu ; qu'il a été par toute la ville sans trouver ni rien apprendre de monseigneur. Le duc prend le parti d'aller à l'appartement dudit évêque, il monte cent vingt-huit marches, et donne de si furieux coups à la porte, qu'un ou deux domestiques s'éveillent, et viennent ouvrir en chemise. Où est l'évêque ?... Il est dans son lit depuis dix heures du soir... Ouvrez-moi sa porte... L'évêque s'éveille... Qu'est-ce qui est là ?... C'est moi, c'est une lettre du roi... Une lettre du roi ! hé ! mon Dieu, quelle heure est-il ?... Deux heures, et prend la lettre. Je ne puis lire sans lunettes... Où sont-elles ?... Dans mes culottes. Le ministre va les chercher, et pendant ce temps-là ils se disaient : Qu'est-ce que peut contenir cette lettre ? L'archevêque de Paris est-il mort subitement ? Quelque évêque s'est-il pendu ?
Louis-Sextius Jarente de La Bruyère (1706-1788), évêque d'Orléans (1758-1788)
Ils n'étaient ni l'un ni l'autre sans inquiétudes. L'évêque prend la lettre; le ministre offre de la lire ; l'évêque croit plus prudent de la lire d'abord; il n'en peut venir à bout, et la rend au ministre, qui lit ces mots : Monseigneur l'évêque d'Orléans, mes filles ont envie d'avoir du cotignac ; elles veulent de très-petites boites, envoyez-en ; si vous n'en avez pas, je vous prie... Dans cet endroit de la lettre il y avait une chaise à porteur dessinée ; au-dessous de la chaise,.. d'envoyer sur-le-champ dans votre ville épiscopale en chercher, et que ce soit de très-petites boites ; surce, monsieur l'évêque d'Orléans, Dieu vous ait en sa sainte garde. Signé, LOUIS. Et puis plus bas, en post-scriptum : La chaise à porteur ne signifie rien ; elle était dessinée par mes filles sur cette feuille que j'ai trouvée sous ma main.
Vous jugez de l'étonnement des deux ministres ; on fit partir sur-le-champ un courrier; le cotignac arriva le lendemain, on ne s'en souciait plus. Le roi lui-même a conté l'histoire, dont les ministres n'avaient point voulu parler les premiers. Si nos historiens étaient aussi fidèles que l'est ce récit, on leur devrait toute croyance. […] »
Le voleur de cotignac
Paul Jacob [Paul Lacroix],
Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897
« Tout à coup il cessa de jeter des quolibets, et porta son attention muette vers un marchand qui étalait sa boutique de confitures et de sucreries, en glapissant cette annonce de son commerce : “ Co, co, cot, cot, coti, coti, cotignac, cotignac d'Orléans ! ”
Cette confiture sèche de coings, renfermée dans des boîtes de bois blanc de différentes grandeurs, était depuis des siècles en faveur spéciale auprès des amis de la friandise : elle avait eu tant de renommée au moyen âge, que l'on en offrait aux rois et aux reines, à leurs entrées dans les villes du royaume ; les enfants en raffolaient, et Charles d'Assoucy*, qui obéissait toujours aux caprices de son ventre, regarda le cotignac avec un appétit qu'il brûlait de satisfaire à tout prix, mais sans argent.
* Né en 1604, fils d'un avocat au Parlement de Paris, Charles Coypeau d'Assoucy mit en vogue le genre bouffon au XVIIe siècle et fut surnommé « l’Empereur du Burlesque ». Sa mère, qui appartenait à la noblesse lorraine, renonça à vivre avec un mari joueur et ivrogne et quitta le foyer conjugal, en abandonnant ses six enfants. D'Assoucy connut donc une enfance de désordre et de misère.
Il se leva, les yeux fixés sur ces pâtes transparentes à la couleur de carmin ; il s'en approcha, pas à pas, par circonvolutions, jusqu'à ce qu'il se fût arrêté, debout en face du marchand, qui crut avoir trouvé un acheteur, et qui attendit que l'argent parût ; mais l'argent ne paraissait pas, et le chaland, immobile, dévorait du regard plus de cotignac que son estomac n'en aurait pu contenir ; il se pourléchait les lèvres, comme un chat qui va s'élancer sur un bon morceau, et il souriait avec une perfide hypocrisie, en remuant ses mâchoires à vide.
— “ Co, co, cot, cot, coti! coti, cotignac ! ” répétait le marchand, en criant à tue-tête, pour exciter davantage la convoitise du petit gourmand. Mon cher enfant, c'est du véritable cotignac de la bonne ville d'Orléans, du cotignac royal au sucre et au vin blanc : ce soir, ma boutique sera toute épuisée, sans que les rats s'y mettent. En voulez-vous pas goûter?
— Certainement ! j'en goûterai volontiers ! reprit d'Assoucy, qui oubliait la condition sous-entendue de payer comptant. Ce cotignac a le teint plus clair et plus rose qu'une fille de quinze ans ; ce cotignac est digne d'orner les buffets du Louvre ; ce cotignac est divin, et vous méritez d'être complimenté par messieurs les échevins de la bonne ville de Paris, pour l'avoir apporté de si loin. Je vais vous envoyer un tas de gens qui se battront afin d'acheter toutes vos bottes : baillez-moi seulement, s'il vous plaît, la plus petite, que j'y goûte, suivant votre honnête intention.
— Merci de vos louanges, mon ami. Prenez la plus grande boîte moyennant un écu, et mangez-la dévotement, pour l'amour de moi. Rien qu'un écu !
— Vous êtes le plus généreux homme que je sache, dit le drôle en s'emparant d'une boîte qu'il eut mise à sec en un tour de langue. Je saurai reconnaître ce don gracieux.
— Il suffit de me donner un écu, répétait le marchand, qui devint pâle à l'idée seule du péril que courait son bénéfice ; non un écu d'or de cinq livres, mais un écu blanc de soixante sous, et j'ose déclarer que nul autre ne fabrique de cotignac à si bon compte. Vous plaît-il de choisir une seconde boîte et de payer toutes les deux ensemble?
— Volontiers ! J'irai jusqu'à trois, riposta d'Assoucy, faisant main basse sur le cotignac, et je vous assure ma chalandise : quant à l'argent, bonhomme, allez voir à la Monnaie, s'il y est venu.
— Au voleur ! cria le marchand, qui ne fut que trop convaincu d'avoir été dupé ; arrêtez ce filou effronté ! Il a mangé mon cotignac et ose nier sa dette ! mordienne !... Que ce méchant garçon me montre l'âme de sa bourse, sinon, je le mène aux prisons du Châtelet !
— Ma bourse est en la poche de quelqu'un, allez-y voir ! dit le voleur, affectant bonne contenance, au lieu de s'enfuir. Je ne vous ai pas trompé, monsieur du cotignac ; je n'ai fait qu'accepter votre offre obligeante de goûter vos pâtes, que je déclare exquises et incomparables. Or donc j'invite les bonnes gens ci-présentes à en prendre aussi, s'ils ne me croient sur parole. Prenez, Messieurs ! cela ne coûte qu'un grand merci.
Le marchand se désolait et jurait que son cotignac n'avait pas été payé ; d'Assoucy lui rendait invective pour invective, et le raillait en termes si gais, que les passants s'arrêtaient pour rire aux éclats. La mine irritée du vendeur et la grimace sardonique du trompeur présentaient un contraste amusant, et personne n'aurait pris parti pour le premier, si le second n'avait de longue date amassé bien des haines qui saisirent cette occasion de vengeance commune. Aux rires succédèrent les murmures et les menaces ; ceux qui avaient eu à se plaindre de l'impertinence loquace et de l'habile rapacité de ce petit mauvais garnement entraînèrent l'opinion des indifférents, et d'Assoucy remarqua que les visages se rembrunissaient autour de lui, et que la presse des curieux, en s'épaississant, lui fermait déjà la retraite : il baissa le ton et les yeux avec inquiétude.
— C'est lui ! disait-on a ses oreilles, c'est le plaisant du Pont-Neuf ! Il a pendu une queue de vache au dos de ma femme !
— Il m'a nomme l'oison plume !
— Oui-da, il vint m'appeler, l'autre jour, a cause de ma perruque blonde : M. le soleil de la rue des Marmouzets !
— Il a soustrait de mon ouvroir un jambon de Pâques !
— Il a cassé hier le vitrage de ma fenêtre !
— Il ronge, mieux qu'une souris, mon beurre et mon fromage !
— Vraiment, il semble que je chauffe le four sans cesse a son usage, sans voir jamais l'ombre de sa bourse !
— Il a rompu les reins de ma chatte!
— Le malandrin attire mon vin, par le soupirail de ma cave, à l'aide d'un tuyau de paille !
— En prison ! à l'amende ! Il a mérité mieux que la potence !
Charles d'Assoucy, effraye de ces menaçantes récriminations qu'il avait peine à démentir par signes négatifs (car la rumeur couvrait sa voix), et se voyant cerne de toutes parts, fut sur le point de crier grâce et d'avouer tous ses méfaits. On se préparait a l'arrêter et à le conduire devant le lieutenant civil au Châtelet, lorsque, profitant de la diversion causée par le récit du vol que le marchand exagérait de plus en plus, il réussit a percer la foule, en baissant la tête, en se faisant mince et fluet. On ne s'aperçut de son évasion, qu'au moment ou il courait de toutes ses forces, et la foule aussitôt s'ébranla, en criant, à sa poursuite. »
Paolo Antonio Barbieri (1603-1649) Nature morte avec pâtisserie, pommes et un verre de biscuits, 1635,
huile sur toile, coll. part.
A consulter :
• Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, Orléans, 1er janvier 1976 : Marie-Rose SIMONI-AUREMBOU (C.N.R.S. Paris), Le cotignac orléanais, Etude de géographie linguistique, p. 407 et suiv.
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