La Beauce vue par les écrivains
Carte de Beauce (Belsiæ en latin) par Johannes Janssonius, Amsterdam, circa 1650.
Au XVIe siècle, Joachim Du Bellay évoque « la Beauce à la large campaigne ». Aucune critique dans ce constat, sinon la notion d’espace. En revanche, au XVIIIie siècle, les voyageurs, français et étrangers, en quête de paysages insoupçonnés, n’y voient que monotonie et ennui. À commencer par Arthur Young, qui, lors de son long périple en France, ne fait aucune concession à cette région :
« Le 29. — Contrée plate jusqu'à Étampes, le commencement du fameux Pays de Beauce. Jusqu'à Toury, chemin plat et ennuyeux, deux ou trois maisons de campagne en vue, seulement. — 31 milles.
Le 30. — Plaine unie, sans clôtures, sans intérêt et même ennuyeuse, quoique l'on ait partout en vue des villages et de petites villes ; on ne trouve pas réunis les éléments d'un paysage. »* Pas plus, au siècle suivant, Honoré de Balzac, habitué aux doux vallonnements et aux couleurs de la Touraine, ne put-il percevoir le moindre attrait dans cette platitude aux paysages répétitifs… Il le laisse entendre dans l’une de ses œuvres : « Les environs de la petite ville de Sceaux jouissent d'une renommée due à des sites qui passent pour être ravissants. Peut-être sont-ils fort ordinaires et ne doivent-ils leur célébrité qu'à la stupidité des bourgeois de Paris, qui, au sortir des abîmes de moellon où ils sont ensevelis, seraient disposés à admirer les plaines de la Beauce. Cependant les poétiques ombrages d'Aulnay, les collines d'Antony et la vallée de Bièvre étant habités par quelques artistes qui ont voyagé, par des étrangers, gens fort difficiles, et par nombre de jolies femmes qui ne manquent pas de goût, il est à croire que les Parisiens ont raison. »** Étonnante modernité dans ce texte qui préfigure l’afflux de parisiens en Beauce, à partir des années 1960, tous citadins en quête de calme et d’air pur pour leur repos de fin de semaine !
* Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789, édition de 1882, Guillaumin et Cie, Libraires, traduction de M. H. J. Lesage.
** Études de mœurs, 1er livre, Scènes de la vie privée, t.. 1, Le bal de Sceaux, Furne, Paris, 1842-1848.
• La Grand Jument de Gargantua
Rabelais propose sa version pour le nom « Beauce »…
Après une jeunesse sullacienne (à Seuilly, près de Chinon), Gargantua part étudier à Paris. Et donc :
En tel équipage, ils suivirent joyeusement leur itinéraire, faisant toujours grande chère, comme cela jusqu’au-dessus d’Orléans. Il y avait à cet endroit une vaste forêt, de trente-cinq lieues de longueur et de dix-sept de largeur, ou à peu près. Celle-ci était horriblement riche et féconde en mouches à boeufs et en frelons, si bien que c’était un vrai coupe-gorge pour les pauvres bêtes de somme, ânes et chevaux. Mais la jument de Gargantua eut la revanche de tous les outrages qui y avaient été commis sur les bêtes de son espèce, dont elle vengea l’honneur par un tour auquel les insectes ne s’attendaient guère. Car dès qu’ils eurent pénétré dans la forêt en question et que les frelons lui eurent livré l’assaut, elle dégaina sa queue et dans l’escarmouche les émoucha si bien qu’elle en abattit toute la futaie. A tort, à travers, de çà, de là, par-ci, par-là, en long, en large, par-dessus, par-dessous, elle abattait les troncs comme un faucheur abat les herbes, de telle sorte que depuis il n’y eut plus ni bois ni frelons, et que tout le pays fut transformé en champs.
Ce que voyant, Gargantua y prit un bien grand plaisir et, sans davantage s’en vanter, dit à ses gens : " Je trouve beau ce. ” C’est pourquoi, depuis lors, on appelle ce pays la Beauce. » (Gargantua, 1542, chapitre XVI.)
Lire :
• Guy Demerson, « Je trouve beau ce » (Gargantua, ch. 16) Rabelais paysagiste, ou Gargantua dans ses campagnes ?, dans Réforme, Humanisme, Renaissance, 2005, 60, pp. 31-49.
https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_2005_num_60_1_2696
[i] Chant triumphal sur le voyage de Boulongne, M.D. XLIX. au Moys d'Aoust, Œuvres poétiques, Premiers recueils, 1549-1553, rééd. Bordas, Paris, 1993.
« Ainsi Auguste, ainsi le grand François,
Et toy HENRY, quelque part ou tu sois
Jà destiné, ta belle estoille ardente
Sera du ciel au plus hault evidente.
Comme l'on void par la fureur des vents
En l'Ocean les flots s'entresuyvans,
Tous argentez d'ecumes blanchissantes,
Heurter le front des rives gemissantes :
Ou les epiz jà non plus verdoyans,
D'un ordre egal jusqu'à terre ondoyans,
Faire une mer de la blonde Champaigne,
Ou de la Beauce à la large campaigne:
Ainsi seront noz souldars par les champs
Contre l'Angloys à la guerre marchans,
Comme un torrent debordé, qui emmeine
Tects, et troupeaux contreval par la pleine. »
À Eucharis
« Que peut demander aux dieux
l'amant qui baise tes yeux,
et qui t'a donné sa vie ?
Il ne voit rien sous les cieux
qu'il regrette où qu’il envie.
Qu'un autre amasse en paix les épis jaunissans
que la Beauce nourrit dans ses fertiles plaines ;
qu'il range sous ses lois vingt troupeaux mugissans,
que la pourpre de Tyr abreuve encor ses laines ;
long-temps, avant l’aube du jour,
que l’avide marchand s'éveille,
et quitte sans pitié le maternel séjour,
amoureux des travaux qu'il détestait la veille ;
qu'il brave et les sables brûlans,
et les glaces hyperborées ;
qu'il fatigue les mers, qu'il enchaîne les vents,
pour boire le tokai dans des coupes dorées :
j'aime mieux du soleil éviter les chaleurs
sous l'humble coudrier soumis à ma puissance.
Périssent les trésors, plutôt que mon absence,
ô ma chère Eucharis, fasse couler tes pleurs !
Que me faut-il à moi ? Des routes incertaines
sous un ombrage frais, de limpides fontaines,
un gazon toujours vert, des parfums et des fleurs. »
Les amours : élégies en trois livres, par le chevalier A. de Bertin, 1780,
Roux-Dufort, Paris, 1824
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